Livre 05-FGN-017 |
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La vie quotidienne des missionnaires des Bois-Francs (1840-1870) L’ année 1825 marque le début de l'établissement des Bois-Francs.
À partir de cette date, des colons canadiens-français commencent à s'établir
progressivement dans les cantons de Blandford, Stanfold, Arthabaska,
Somerset, Bulstrode et Warwick. Il n'y a pas encore de prêtre résidant pour
les colons de première heure. Sans aucun doute ces derniers ne cessent de
prier et d'espérer la venue du missionnaire. Le premier prêtre résident est
M. Clovis Gagnon. Nommé missionnaire des Bois-Francs par Monseigneur Signay,
évêque de Québec, en septembre 1840, M. Clovis Gagnon ne vient résider à
Somerset qu'en décembre de la même année. Du 9 octobre au 30 décembre 1840,
l'abbé Gagnon demeure à Saint-Edouard de Gentilly, où il signe les registres
comme vicaire. II est très intéressant d'étudier
les conditions de vie quotidienne de ces missionnaires dans les Bois-Francs.
C'est ce que j'ai l'intention de faire dans cet article, en commençant par
l'environnement matériel. Chapitre
I L'environnement matériel Avec l'arrivée de monsieur l'abbé
Clovis Gagnon en 1840, les Bois-Francs bénéficient de la première résidence
permanente du prêtre. Celle-ci implique nécessairement un endroit où logera
le missionnaire. Examinons la demeure de ces missionnaires pour la période de
1840-1870. |
Logement Les premiers missionnaires à venir oeuvrer aux Bois-Francs se sont d'abord installés dans les
familles qui acceptaient de les héberger en attendant qu'une maison soit mise
à leur disposition. En octobre 1851, arrive à la cure de St-Christophe d'Arthabaska,
M. Hippolyte Suzor. Comme le presbytère n'est pas encore prêt, monsieur Suzor
demande l'hospitalité à un de ses paroissiens, en l'occurrence, M. W. Dorique
Belliveau. Ce dernier le reçoit à sa table pendant un mois'. Le gîte que les gens offrent aux
missionnaires laisse parfois à désirer. À Stanfold, l'abbé Charles-Edouard Bélanger ne l'apprécie
guère: "Supposez un pauvre missionnaire passant tous les mois
quatre à cinq jours dans une maison pauvre et malpropre au milieu d'une
famille de douze personnes toutes en bas âge, n'ayant avec elle qu'un
appartement de trente sur vingt pieds2. Missionnaire de St-Norbert avec la desserte
des missions de St-Christophe et de Warwick depuis décembre 1849, voilà que
Mgr P.-F. Turgeon ajoute à monsieur l'abbé Paul de Villiers, en 1851, la
charge de la mission de Ste-Sophie d'Halifax. Même si cette dernière mission
est située en dehors des territoires des Bois-Francs, il demeure que là aussi,
le missionnaire se trouve très mal logé: "J'ai été obligé de me retirer,
dans une maisonnette, servant déjà de logement à une famille de six enfants
et où, pendant la nuit, j'étais assiégé par une multitude de petits ennemis
cruels, qui ne me permettaient pas de dormir3. " Les gens qui reçoivent ces
missionnaires, le font-ils bénévolement ou sont-ils rémunérés? Si
quelques-uns peuvent les accueillir gratuitement, ils doivent être rares si
l'on songe à la pauvreté générale qui sévit parmi la population. Il apparaît
plus
évident alors que les missionnaires paient pension: " J'ai pris le parti
de me mettre en pension... Je lui donne dix piastres par mois pour la
nourriture et le logement4. " 1. Archives Paroissiales (A.P.),
St-Christophe d'Arthabaska, Documents à conserver, feuillet dixième. À St-Eusèbe, Antoine Racine
loge chez le paroissien Louis Richard en attendant que le pesbytère soit
habitable, Charles-Edouard Mailhot, Les Bois-Francs, Arthabaska,
Imprimerie d'Arthabaska, 1914-1925, t.I, p. 259.
À Ste-Julie, Ignace Roberge accueille, en octobre 1854, le premier
curé de Ste-Julie, l'abbé joseph-Octave Béland, ibid., t. II, p. 427. 2. Archives Archevêché de Québec
(A.A.Q.), P., 27, 3 avril 1845, Bélanger à Cazeau. 3. Archives Évêché de Nicolet
(A.E.N.), S.-N., 73, 3 novembre 1852, de Villers à Turgeon. 4. Archives Évêché de
Trois-Rivières (A.E.T.R.), Bochet, 4, 5 octobre 1864, Bochet à Cooke, Il en
est de même pour le missionnaire de St-Norbert qui, lui aussi, paie pension,
lorsqu'il est en mission, A.E.N., S.-N., 18, 20 octobre 1847, Gagnon à
Signay. (P.5) Dans quelques paroisses, la sacristie sert
pendant un certain temps de logement aux missionnaires: "Les fidèles
pour ne pas me payer une pension m'ont donné l'usage de la terre et m'ont fait
un bien pauvre logement dans un coin de leur sacristie5." La chapelle est aussi le lieu de
résidence pour plusieurs missionnaires. Dans le toit pointu de la première
chapelle de St-Calixte de Somerset, construite en 1841, il y a deux petites
mansardes: ce sont les appartements
de l'abbé Gagnon et de ses successeurs Charles-Edouard Bélanger et Edouard
Dufour6. Au dire de M. Dufour, ce logement est très
inconfortable: "On ne peut être plus mal logé. J'éprouve dans ce
logement toutes les incommodités possibles. Le froid, les mauvais temps de
tout genre qui pénètrent dans les appartements que j'occupe sont les seuls inconvénients
les plus supportables7." Avec le temps, chaque paroisse des
Bois-Francs réussit à mettre à la disposition des missionnaires une maison
appelée presbytère. Quelle est la grandeur de cet édifice? Celui-ci varie
d'une paroisse à l'autre. À St-Calixte, les dimensions sont de l'ordre de
trente pieds sur trente-six8; à St-Eusèbe de Stanfold, la maison préparée pour
servir de presbytère n'a pas "tout à fait trente pieds en longueur9". Le presbytère est bâti en bois, en
pierre ou en brique. La couverture est faite en planche ou en bardeau. Cave,
grenier, perron,... font partie de l'agencement de la construction. Les missionnaires ne jouissent pas
d'un grand confort dans les presbytères. En effet, plusieurs d'entre eux
offrent à leurs résidents très peu d'aisance. Les incommodités, par contre,
ne manquent pas. Écoutons M.
Antoine Racine, de St-Eusèbe: Il s'en faillait de beaucoup que cette
maison fut convenable même pour un homme qui n'est pas trop fier. Il m'a
fallu débourser pour y enter près de deux louis, pour faire des ouvrages
absolument nécessaires tels que cave, porte de cave, escalier pour monter au
grenier, 5. A.A.Q., P., 37c, 18 mai 1850,
Dufour à Turgeon. À St-Norbert, la sacristie sert de logement à Moïse Duguay,
A.E.N., S.-N., 24, 3 octobre 1848, Duguay à Signay. 6. A.P., St-Calixte de Somerset,
Charles Trudelle, Histoire des premiers temps de Somerset, manuscrit, 1855,
pp. 24-25. 7. A.A.Q., P., 37b, 8 mai 1848,
Dufour à Signay. 8. A.A.Q., P., 37g, s.d., Réponses pour St-Calixte de Somerset, Trudelle. 9.
A.E.N., S.-N., 29, 25 février 1849, Racine à Cazeau. À Ste-Sophie, le
presbytère a 40 pieds en longueur par 36 de largeur, A.E.N., S.-N., 73, 3
novembre 1852, de Villers à Turgeon. |
ranchaussage de la maison, perron même ... Vous dire
qu'il pleuvait dedans aux pluies de décembre... je crois que vous le croirez
sans peine'(). Le missionnaire de St-Norbert qui dessert Ste-Sophie y
trouve un presbytère. Mais celui-ci n'est pas aménagé: pas de chambre, pas de
poêle, pas de lit, pas de chaise, pas de table". Cependant, ce que les missionnaires
décrient le plus, c'est le froid. Un grand nombre de missionnaires se
plaignent de la froideur de leur presbytère. Le presbytère de Stanfold est "une vraie
glacière"; celui de Ste-Julie est "froid comme une grangel3".
Est-ce là une mauvaise volonté évidente de la part des paroissiens?
Probablement pas. II s'agit vraisemblablement d'un problème technique de
construction. D'ailleurs, les nombreuses requêtes venant des paroissiens
demandant à bâtir une maison pour l'usage de leurs missionnaires, demandant
la permission pour construire un nouveau presbytère étant donné que leur
presbytère est dans un très mquvais état,... démontrent bien le bon vouloir
des gens afin de donner aux missionnaires un logement convenablel4. Les gens ont de la bonne volonté
mais il leur manque un élément indispensable: l'argent. N'ayant en main que
très peu d'argent pour ériger le presbytère, les paroissiens ont peut-être
négligé de mettre certains matériaux essentiels à l'isolation des bâtisses et
la conséquence qui en découle, est que l'habitation du missionnaire demeure
une maison très froide durant la saison hivernale. Quoiqu'il en soit, il est certain
que le logement du curé
n'est pas inférieur aux habitations contemporaines des colons. M.
Norbert Duguay qui a visité ses missions de St-Norbert, StChristophe et
Warwick, rapporte: J'ai
été dans la maison ou mieux dans la cabane, de chacun de mes paroissiens sans
en excepter un seul, ce qui m'a mis à porter de connaître leur pauvreté car
il 10. A.E.N., S.-N., 29, 25 février 1849, Racine à
Cazeau. 11.
A.E.N., S.-N., 73, 3 novembre 1852, de Villers à Turgeon. 12. A.E.T.R.,
Pelletier, lA, 23 avril 1853, Pelletier à Cooke. 13. A.A.Q., L., 82, 9 février 1870,
Matte à Cazeau. Au sujet du presbytère de Blandford, M. de Carufel écrit:
"J'ai hiverné froidement quatre hivers, j'ai eu à souffrir du froid au
presbytère et à la sacristie", A.E.T.R., Carufel, 9, 10 septembre 1866,
de Carufel à Cooke. 14. A.E.N., S.-E., 11A, 16 octobre
1861, habitants de St-Eusèbe à Cooke; A.E.N., S.-M., 14, 12 février 1865,
habitants de Warwick à Cooke; A.A.Q., L., 85, 30 octobre 1870, habitants de
Ste-Julie à Cazeau. faut comme nous entrer dans leur maison pour voir ce
qu'ils ont à souffrir,
du froid, du manque de vêtements et de la mauvaise nourriturel5. Logeant
dans des maisons très peu confortables, les missionnaires possèdent-ils
habituellement des dépendances? Dépendances Au mois d'août 1854, monseigneur Turgeon signale au curé
de St-Calixte, M. Charles Trudelle, qu'il faut à Ste-Julie "les
dépendances au presbytère, telles que étable, remise, hangar et qui doivent
être préparées avant l'arrivée du prêtre16". Si nous nous
basons sur cet extrait, il semble qu'à l'arrivée du prêtre résidant dans une
paroisse, celui-ci doit trouver toutes les dépendances nécessaires. Qu'en
est-il réellement? Clovis Gagnon réside à St-Norbert
depuis 1844.
En 1848, il n'y a là "aucune dépendancel7".
En 1849,
cependant,
le missionnaire de St-Norbert a "de bonnes écurie, étable et autres
bâtisses 18. " Peu avant la venue de M. Arthur
Sicard de Carufel, premier curé résidant de St-Louis de Blandford, M.
Narcisse Pelletier, alors desservant de cette mission, écrit: "Aussitôt
que le curé sera arrivé, s'il a besoin de quelque dépendance, étable, hangar
et le reste, les gens sont tous disposés à le satisfairel9."
Toutefois, après l'arrivée de ce monsieur, comme la construction tarde, Mgr
Cooke doit intervenir: J'apprends avec une grande surprise
les difficultés qui s'élèvent dans votre paroisse, au sujet de la
construction de dépendances qui vous sont nécessaires. II paraît qu'une
certaine partie des francs tenanciers de votre paroisse telle qu'érigée
canoniquement... ne veut pas contribuer à la construction des dites bâtisses. Mais heureusement, ce n'est pas le grand nombre; aussi
je félicite bien sincèrement tous ceux qui ont marqué de la bonne volonté et
je vous prie de leur exprimer mon entière satisfaction. Quant à ceux qui ne
veulent pas mettre la main à cette oeuvre paroissiale je me trouve forcé de
les blâmer: car ils s'étaient eux-mêmes 15. A.E.N., S.-N., 27, 19 janvier
1849, Duguay à Signay. 16. A.A.Q., 210A, R.L., vol. 25, no
808, p. 505, 11 août 1854, Turgeon à Trudelle. 17. A.E.N., S.-N., 26, 31 octobre
1848, Duguay à Cazeau. 18. A.E.N., S.-N., 53, 22 septembre
1849, Pacaud à Signay. St-Christophe reçoit son premier curé résidant en 1851
et le hangar ne sera bâti qu'en 1853, A.E.N., S.-C., 19, 1853, habitants de
St-Christophe à Cooke. 19. A.E.N., S.-L., 17, 29 septembre
1862, Pelletier à Cooke. |
(p.8) engagés à
cette oeuvre, en promettant de contribuer, comme tous les autres, au soutien
du curé que je leur ai donné; en promettant de lui procurer un logement convenable
avec les dépendances nécessaires, et ce qu'il faudrait en un mot pour son
entretien. II s'agit donc d'un devoir qui pèse sur leur conscience, d'une
obligation à laquelle ils ne sauraient se soustraire sans pécher20’'. Seuls les habitants du township de
Warwick se sont mis à l'oeuvre dès qu'ils ont entendu parler de la
possibilité qu'un prêtre résidant vienne s'installer parmi eux. En effet, la
nomination de M. Télesphore Lacoursière à la cure de St-Médard date de
septembre 1857. Or, en juin 1856, "ils sont déjà en voie de construction
une grande écurie, un hangar et une remise21." À la lumière de ce que nous venons
de voir, nous pouvons affirmer que la construction des dépendances se
produit généralement après l'arrivée du résident, et si les paroissiens
tardent à bâtir toutes ses dépendances, c'est peut-être parce qu'ils veulent
s'assurer d'abord de sa présence et/ou parce que leurs moyens financiers ne
leur permettent pas d'entreprendre de telles constructions au moment même où
le prêtre s'installe dans la paroisse. Mobilier Les missionnaires ne parlent
qu'exceptionnellement de leur mobilier. Lorsqu'ils en disent quelques mots,
l'idée centrale qui se dégage alors, se résume à ceci: le prêtre qui vient
aux Bois-Francs achète le ménage de son prédécesseur et le revend à son tour
lorsqu'il quitte ou bien, comme dans le cas de M. Béland, il déménage ses
effets dans chacune des paroisses où il exerce le saint ministère:
"Malheureusement le chemin de fer qui de semaine en semaine, de jour en
jour doit être en opération et n'opère point, ne lui a pas encore permis d'
avoir son ménage22. " Avant de quitter Stanfold, Antoine Racine prend soin de demander au Grand
Vicaire Cazeau: "Que mon successeur arrive promptement pour acheter mon
ménage de missionnaire23." M. Pelletier pratique la même
méthode: 20. A.P., St-Louis-de-Blandford, 14 avril 1863, Cooke à de Carufel. Les
gens de Blanford ne veulent construire ni presbytère ni dépendances. Mgr
Thomas Cooke les encourage à se mettre à l'oeuvre (enveloppe). 21. A.E.N., S.-M., 7, 22 juin 1856,
habitants de Warwick à Cooke. 22. A.A.Q., L., 10a, 9 novembre
1854, Trudeile à Cazeau. 23. A.E.N., S.-N.,.
67, 4 octobre 1851, Racine à Cazeau. Mon émigration de Ste-Anne à Stanfold me coûte au dessus dix louis, sans compter le dommage que j'ai
souffert dans la vente de mon ménage à Ste-Anne, que j'ai été obligé de
sacrifier à l'encan, pour n'avoir pas connu assez tôt le curé de Ste-Anne,
par oubli de Votre Grandeur, je pense bien, car elle m'avait dit à Québec
qu'elle me le ferait connaître dès le moment de sa nomination. Rendu ici, il
m'a fallu acheter de Monsieur Lahaye24. Les missionnaires qui habitent très
souvent une maison misérable, qui ont parfois des dépendances, qui possèdent
un peu de ménage, vivent-ils seuls? Habituellement non. Ils ont du personnel,
c'est-à-dire des personnes dévouées à leur service et souvent aussi, vivent
avec eux, des membres de leur famille. La
maisonnée Le personnel domestique des missionnaires
peut comprendre une ou plusieurs personnes. Celles-ci travaillent pour eux à
titre de bedeau25 lingère26, laveuse27, engagère28. Mais il
n'est pas toujours facile de se trouver des serviteurs. Le nouveau curé de St-Eusèbe, M.
Narcisse Pelletier, est "incapable de trouver de fille et de garçon29."
À St-Calixte, M. Trudelle connaît des difficultés semblables: Depuis deux ans je cherche une
fille pour remplacer ma vieille et je n'en trouve pas; c'est un meuble (sic)
extrêmement rare. Mais voici le cas: ma vieille donc ne suffit pas toujours
à faire mon ouvrage et il me faut dans certaines circonstances lui avoir une
aide, impossible quelquefois de m'en passer. J'ai donc de temps à autre
quelque petite bonne à rien pour me faire fâcher... Je 24. A.E.T.R., Pelletier, 1, 30
octobre 1852, Pelletier à Turgeon. Télesphore Lacoursière qui doit quitter
St-Médard pour raison de santé dit: "Ainsi Mgr.. au lieu de m'envoyer un vicaire, vous voudrez bien
m'envoyer un successeur au plutôt, afin que je puisse faire des marchés avec
lui pour mon ménage", A.E.T.R., Lacoursière, 11, 23 septembre 1864,
Lacoursière à Cooke. 25. A.A.Q., P., 60, 1861, Remarques
sur la paroisse de St-Calixte de Somerset par Matte; A.E.N., S.-C., 4, 10 mai
1847, Gagnon à Signay. 26, A.A.Q., P., G0, 1861, Remarques sur la paroisse de
St-Calixte de Somerset par Matte. 27. A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847,
Gagnon à Signay. 28. A.E.N., S.-C., 4. 10 mai 1847,
Gagnon à Signay; A.E.T.R., Pelletier, lA, 23 avril 1853, Pelletier à Cooke;
A.E.T.R., Lacoursière, 10, 11 août 1864, Lacoursière à Cooke. 29. A.E.T.R., Pelletier, 1, 30
octobre 1852, Pelletier à Turgeon. |
(P.10) n'ai ni
soeur, ni tante pour demeurer avec moi et comme je suis souvent par monts et
par vaux, mon presbytère reste à la merci des domestiques, qui tout fidèles
qu'ils puissent être, ont toujours l'esprit domestique ... Je voudrais avoir
avec moi mon petit filleul, fils de mon frère défunt, pour lui faire commencer
ses études. Mais sans une personne pour tenir ma place en mon absence je ne
puis y penser 30. Les missionnaires donnent parfois
asile à leurs parents. M. Suzor, père, demeure avec son fils, curé à
St-Christophe d'Arthabaska3l. D'autres membres de la famille du
missionnaire peuvent faire partie de sa maisonnée: les soeurs, les frères,
les nièces32, etc. Dans une lettre de Pelletier à Mgr
Cooke, en date du 7
décembre 1861, le curé de Stanfold s'exprime au sujet de sa cuisinière sans cependant
parler des mets qu'elle prépare33. On peut néanmoins s'interroger
sur l'alimentation de ces missionnaires. Alimentation Ici, il faut bien l'avouer, les
documents consultés restent à peu près tous muets. Certains missionnaires ont
pourtant des choses à dire: "Depuis deux mois, je me nouris au dépens de
l'un de mes frères qui me fait mon ouvrage au lieu d'un engager, car je
n'avais plus rien à manger34." Et M. Béland affirme:
"Ainsi dans ce moment je me trouve sans farine, sans viande35." Faut-il croire que la majorité des
missionnaires se nourrissent bien puisque leurs écrits n'en disent rien ou
tout simplement, mangent-ils la même nourriture que celle des colons? Moïse
Duguay dit: "J'aurai un peu d'avoine et de sarasin qui est le pain
quotidien de nos pauvres habitans36." 30. A.A.Q., P., 49, 3 juin 1854,
Trudelle à Cazeau. 31. A.E.T.R., Suzor, 17, 31 août
1862, Suzor à Cooke. Narcisse
Pelletier est chargé de son père et de sa mère, A.E.T.R., Pelletier,
IA, 23 avril 1853, Pelletier à Cooke, M. Gagnon a parmi les gens de sa
maison, sa mère, A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847, Gagnon à Signay. 32. A.A.Q., L., 71, 21 novembre
1868, Martel à Baillargeon; A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847, Gagnon à Signay;
A.E.N., S.-N., 21, le septembre 1848, Dufour à Cazeau. 33.
A.E.T.R., Pelletier, 9, 7 décembre 1861, Pelletier à Cooke. 34.
A.E.N., S.-N., 18, 20 octobre 1847, Gagnon à Signay. 35.
A.A.Q., L., l la, 26 août 1855, Béland à Baillargeon. 36. A.E.N., S.-N., 27, 19 janvier
1849, Duguay à Signay. (P.11) Sans connaître exactement le plat qui est
servi aux missionnaire, un indice nous est donné
sur leur alimentation grâce à la dîme qu'ils perçoivent. La dîme se compose
principalement de blé, seigle, orge, avoine, sarrazin, pois37. Il
apparaît évident que leurs repas doivent être apprêtés à partir de ces
produits de base. Ajoutons peut-être à ces aliments, les viandes, patates...,
fraises, framboises, bleuets lorsque la saison le permet. En
période de grande disette, font-ils comme ces "familles réduites à
manger des bourgeons d'arbre38". Qui Sait? Vêtement Le manque de vêtements démontre
bien la misère dans laquelle se trouvent les premiers missionnaires. L'abbé
Dufour écrit: "Malgré toute mon économie, il m'a fallu m'endetter cet
automne d'une soutane, et d'une paire de bottes, objets que je n'avais pas
encore achetés depuis que je suis ici39." Monsieur Béland ne
vit pas lui non plus dans le luxe puisque au mois d'août 1858, il informe son évêque qu'il n'a
rien pour se vêtir l'hiver prochain40. En 1860, la situation de Béland ne
s'améliore guère: "Je vous dis franchement devant Dieu, que je n'ai
jamais été aussi pauvre que cette année et je souffre de ma pauvreté. Il me
manque bien des choses nécessaires et il m'est impossible de me les procurer;
pour tout je ne porte pas de chemise de toile, ni me mouche dans la soie4l.
" Monsieur le curé Narcisse Pelletier de St-Eusèbe
de Stanfold, parle ainsi de son confrère missionnaire, M. Louis-Elie
Dauth: "Si Mr Marquis a besoin d'un prêtre pour ses missions encore bien
peu populeuses, qu'on lui donne un vicaire, pour améliorer le sort de Mr
Dauth, dont la pauvreté, dit-on est plus qu'évangélique42. " Généralement donc, à travers tout
le territoire que comprennent les Bois-Francs, les missionnaires qui le
desservent, ne connaissent pas de bien-être matériel. 37. A.E.N., S.-N., 18, 20
octobre 1847, Gagnon à Signay; A.E.T.R., Pelletier, 10, 20 avril 1857,
Pelletier à Cooke; A.A.Q., P., 58, 12 septembre 1860, Matte à Baillargeon. 38.
A.E.N., S.-N., 27, 19 janvier 1849, Duguay à Signay. 39.
A.A.Q., P., 37, 8 novembre 1847, Dufour à Signay. 40.
A.A.Q., L., 21, 30 août 1858, Béland à Baillargeon. 41.
A.A.Q., L., 25, 28 novembre 1860, Béland à Baillargeon. 42.
A.E.T.R., Pelletier, 12, 31 janvier 1862, Pelletier à Laflèche. |
(P.12) Les missionnaires des Bois-Francs ont écrit
suffisamment au sujet de leur environnement matériel. Certes, ils avaient
beaucoup à en dire lorsque nous songeons aux incommodités de toutes sortes
dont ils ont eu à souffrir. Cependant, ce n'est là qu'une épreuve parmi tant
d'autres. II Les
moyens de subsistance Au Québec, parmi les revenus que
touchent les prêtres, il y a d'abord les honoraires: pour messes basses, pour
grands-messes, pour transcription d'extraits du registre d'état civil, pour
bans de mariage. Toutefois, les revenus les plus importants sont ceux de la
dîme. Dîme La dîme est ratifiée au
vingt-sixième. Elle ne porte que sur les grains (blé, seigle, orge...) battus
et vannés: mais, par une convention spéciale, elle peut porter sur d'autres
produits, faute de grains. Le paroissien doit livrer lui-même sa dîme au
presbytère en temps opportun. Dans l'ensemble, la dîme lie le sort du curé à
celui de l'habitant: l'un et l'autre subissent ensemble les effets de la
prospérité ou de la disette43. Soulignons qu'il n'est pas dans
notre intention de nous attarder à énumérer les montants reçus par les
missionnaires des Bois-Francs mais plutôt de nous attacher à découvrir si ce
revenu suffit à les faire vivre décemment et si les habitants obéissent bien
au septième commandement de l'Église: "Droits et dîme tu paieras à
l'Église fidèlement44." Dans
les Bois-Francs, la dîme est habituellement payée par les produits de la
terre: blé, seigle, orge, avoine, sarrazin, pois. . 43 D'après Marcel Trudel, Initiation à la Nouvelle-France, histoire et
institutions, Montréal, Holt Rinehart et Winston, Limitée, 1971, p. 267. De
passage à Ste-julie de Somerset, M. Cazeau fait la remarque suivante:
"L'année qui finit ayant été peu favorable aux récoltes, la dîme du curé
a été bien faible .. La dîme de l'année commencée
sera beaucoup plus considérable, vu la bonne apparence des récoltes qui
d'ailleurs paraissent maintenant à l'abri de tout accident", A.A.Q., L.,
12, 7 septembre 1855, Cazeau à Baillargeon. Des commentaires semblables se
trouvent aussi dans d'autres écrits: A.A.Q., P., 37, 8 novembre 1847, Dufour
à Signay; A.E.N., S.-N., 27, 19 janvier 1849, Duguay à Signay. 44. (Coll.), Catéchisme catholique,
Québec, L'Action Catholique, 1960, p. 228. (P.13) C'est au
presbytère de leur paroisse desservie par voie de mission, le desservant
désigne le lieu45. A Blandford et à Bulstrode, les fidèles
déposent leur dîme dans la maison où le missionnaire prend pension46.
Les produits perçus, le prêtre en conserve une partie pour lui-même et vend
l'autre pour se procurer un peu d' argent47. Ordinairement, le prêtre ne se fixe
dans une paroisse que si elle peut le faire vivre décemment. Rien d'étonnant
alors qu'en 1848, à
St-Eusèbe, l'évêque de Québec refuse aux gens de cette localité l'avantage
d'avoir un pasteur au milieu d'eux puisque les revenus annuels qu'ils donnent
à leur missionnaire sont insuffissants pour le soutien d'un curé. En
apprenant cette décision, la population fait un recensement des revenus
réels qu'elle pourra fournir au prêtre résidant. Se basant sur cette liste
des revenus, Edouard Dufour assure à l'évêque que le curé de St-Eusèbe ne
vivra pas dans la misère48. Le premier curé de Stanfold,
monsieur Antoine Racine, écrit: "Les paroissiens de Stanfold, en
demandant un prêtre à Monseigneur, avait promis de donner à leur prêtre au
delà de six cents
minots: et je ne crois pas que leur dîme ait dépassé cent cinquante minots49." Les premières années de cure de
l'un des successeurs de Racine, M. Narcisse Pelletier, ne sont pas des années tellement
florissantes du côté monétaire: "Quoique un peu meilleurs que l'année
dernière, les revenus de la
dîme cette année ne sont pas suffisants pour rencontrer les dépenses50."
En 1861, "la paroisse ne suffit que juste pour l'entretien du curé5l". Narcisse
Pelletier, après avoir desservi les fidèles de St-Louis pendant dix ans,
réussit à leur faire obtenir un prêtre résidant en 1862. Mgr Cooke a toujours
refusé de donner un curé résidant à St-Louis de Blandford vu l'insuffisance
des revenus. Mais en cette année 1862, les paroissiens consentent à souscrire
un supplément, fort appréciable paraît-il, pour tâcher de subvenir
raisonnablement aux besoins de leur curé: "Je suis convaincu qu'elle le
trouvera généreux, et suffisant pour assurer avec la 45. A.E.T.R., Visites pastorales 1853-69, p. 258. 46. A.E.N., S.-N., 44, 20 juillet
1849, racine à Cazeau. 47. A.A.Q., P., 34, 20 septembre
1848, Dufour à Cazeau; A.A.Q., L., 25b, 6 septembre 1861, Béland à
Baillargeon. 48. A.E.N., S.-N., 25, 4 octobre
1848, Dufour à Signay. 49. A.E.N., S.-N., 44, 20 juillet
1849, Racine à Cazeau. 50. A.E.T.R., Pelletier, lA, 23 août 1853, Pelletier à
Cooke. 51. A.E.T.R., Pelletier, 5, 23
septembre 1861, Pelletier à Cooke. |
(P.14) dîme une subsistance honnête au curé. Je
suis persuadé aussi moi-même que ce supplément se paiera fidèlement52." A l'automne 1862, Blandford reçoit son premier curé.
Peu de temps après, monseigneur Cooke intervient sur la question de la dîme
et du supplément qui tardent trop à entrer: Nous venons vous rappeler un devoir
important que vous devez remplir à l'égard de votre curé. Jusqu'ici, vous
vous en êtes acquittés d'une manière assez satisfaisante. Plusieurs d'entre
vous ont même témoigné beaucoup de zèle dans l'accomplissement de ce devoir.
Mais nous apprenons aujourd'hui que ce zèle se ralentit ... Ce que nous voulons, N.T.C.F.,
c'est que vous procuriez à votre curé ce qu'il est en droit d'attendre de
vous pour sa subsistance. Vous y êtes obligés, vous le savez, par devoir de
conscience. Le Prêtre qui est au milieu de vous, chargé du soin de vos âmes,
doit vivre de vos dîmes, de vos revenus, retirer de
vous, en un mot, tout ce qu'il faut pour sa subsistance. Et c'est d'ailleurs
sur vos promesses, sur la garantie que vous nous avez donnée que vous
rempliriez scrupuleusement cette obligation, que nous avons consenti à vous
procurer l'avantage d'avoir un prêtre résidant au milieu de vous, qui fût
votre curé et vous procurât tous les secours de la religion. Si donc,
N.T.C.F., vous manquiez à cette obligation, nous serions forcés de vous ôter
ce prêtre. Nous n'osons croire que vous vous exposerez à ce malheur53." M. de Carufel n'en continue pas
moins à vivre dans la pauvreté: "Quant à mes moyens, ils sont les mêmes
que ceux des pauvres missionnaires54. " Ce même monsieur
écrit en 1867: "Il n'est pas possible qu'un curé desserve cette paroisse avec une
aussi petite dîme55." 52. A.E.N., S.-L., 16, 24 septembre
1862, Pelletier à Cooke. 53. A.P., St-Louis de Blandford, 11
mai 1865.- Mgr Thomas Cooke demande aux paroissiens de Saint-Louis de payer
la dîme et les suppléments. Autrement le curé vous sera enlevé (enveloppe). 54. A.E.T.R., Carufel, 9, 10
septembre 1866, de Carufel à Cooke. 55. A.E.T.R., Carufel, 11, 13
juillet 1867, de Carufel à Cooke. Nommé curé à St-Médard en septembre 1857,
Télesphore Lacoursière s'adresse à monseigneur Cooke en ces termes: "Les
revenus de Warwick sont loin d'être ce que l'on disait. À l'heure qu'il est
je n'ai reçu guère plus que pour une cinquantaine de louis et je pense, que
c'est à peu près tout. De sorte que je ne suis pas haut-monté de ce temps-ci",
A.E.T.R., Lacoursière, 2, 14 mai 1858, Lacoursière à Cooke. Mgr Cooke de
dire: "Ayant été informé que le Missionnaire de Warwick et Chester,
n'était pas suffisamment rétribué et ne pourrait continuer cette desserte,
s'il n'y avait (P.15) En fait, il n'y a pas une seule paroisse
dans les Bois-Francs où les missionnaires ont à déclarer que leurs revenus
sont plus que convenables. Tous, par contre, déplorent leur insuffisance. À
l'été 1849,
le
missionnaire de St-Norbert, monsieur Duguay, dit: "Mes revenus sont
extrêmement faibles56." Et pour cause! Il n'a reçu qu'environ
"150
minots
d'avoine 25 minots
de blé environ autant d'orge et de sarasin, environ 10 minots de pois 2 minots de blé d'inde57."
Dans de telles conditions, il n'est pas étonnant de s'adresser à l'évêché
pour lui faire part qu'on se trouve "dans une extrême indigence
d'argent". Au dire de monsieur Pelletier de
Stanfold, la dîme de 30 louis que reçoit M. Suzor à St-Christophe n'est
certainement pas de trop59. Assurément qu'elle ne l'est pas, puisque
dans une lettre datée du 11 août 1854, monseigneur Turgeon s'adresse ainsi au curé de
Somerset: "II faut à un prêtre, quelqu'économe qu'on le suppose, au
moins de L 100 de revenu60. " En maintenant ce rythme de
revenus, il ne faut pas se surprendre si M. Suzor fait appel à son évêque
pour lui demander de l'aide pécuniaire". Les prêtres de la paroisse Ste-Julie
ne regorgent pas eux non plus de revenus. Monsieur Cazeau, ayant visité
Ste-Julie en septembre 1855, note dans son rapport: "L'année qui finit ayant
été peu favorable aux récoltes, la dîme du curé a été bien faible62."
La faiblesse de la dîme explique ces parole de M. Béland: "I1 ne me
reste pas une piastre en argent63." pas quelque changement par le
payement plus exact de la dîme ou de l'addition d'un supplément
. Car il n'est pas agréable pour moi d'entendre dire par-ci par-là:
Monseigneur laisse souffrir ses Prêtres; il v en a un à Warwick ... Je
m'étais fié sur les promesses bien des fois répétées, et vous voyez. Il n'est
pas temps encore de donner un prêtre à un poste qui n'a pas le moyen de le
faire subsister". A.E.T.R., Registre de Lettres Volume II 1856 à 1859
(12 janvier 1856 à 1 mars 1859) 55/58-19-VIII-1858, Cooke à Suzor. 56.
A.E.N., S-N., 43, juillet 1849, Duguay à Cazeau. 57.
A.E.N., S.-N., 43, juillet 1849, Duguay à Cazeau. 58.
A.E.N., S.-C., 7B, 5 novembre 1849, Duguay à Cazeau. 59.
A.E.T.R., Pelletier, lA, 23 avril 1853, Pelletier à Cooke. 60. A.A.Q., 210A, R.L. vol. 25, no
808, p. 505. 11 août 1854, Turgeon à Trudelle. 61. A.E.T.R., Suzor, 7, 19 Novembre
1856, Suzor à Cooke. 62. A.A.Q., L., 12, 7 septembre
1855. Cazeau à Baillargeon. 63. A.A.Q., L., l la, 26 août 1855,
Béland à Baillargeon. Le curé de St-Valère éprouve également des difficultés
financières et jamais il ne pourra "espérer un revenu suffisant de sa
paroisse et de ses missions pour vivre convenablement", A.E.T.R.,
Pelletier, 12, 31 janvier 1862, Pelletier à Laflèche. |
(P.18) Bref, les propos tenus par monsieur Béland
en décembre 1854, se répéteront pendant plusieurs
années par tous les missionnaires des Bois-Francs: "Je suis un
missionnaire bien pauvre, sans trop de ressources64'." La dîme que les habitants des Bois-Francs doivent
verser à leurs missionnaires est-elle payée fidèlement? Non. Le premier curé de St-Calixte, M.
Trudelle, déclare dans ses rapports annuels couvrant les années 1853-1856, qu'elle n'est pas fidèlement payée65.
Monsieur Duguay de St-Norbert écrit: " ... Mes habitants n'ont pas été
accoutumés à payer la dîme et c'est avec la plus grande misère que j'ai
retiré ce que ci-dessus mentionné66." À St-Christophe, la
dîme que reçoit M. Suzor est très faible. Cependant, Hippolyte Suzor ne peut
exiger davantage de ses fidèles: "Quand, pour payer sa dîme, un
cultivateur est obligé d'ôter de la bouche de sa femme et de ses enfants le
pain qui devait les faire subsister, ce serait n'avoir pas de coeur... que
d'aller lui dire: donnez, donnez encore: et ne saurait concilier cette
manière de parler avec ce qu'il a entendu dire que le prêtre est le père de son
peuple67. " Le curé Béland de Ste-Julie
est parfaitement conscient que la dîme a un lien très étroit avec la récolte.
Toutefois, même si les récoltes sont mauvaises, il n'en demeure pas moins que
"très peu connaissent l'obligation de payer la dîme68."
A Ste-Julie, c'est chose courante de s'abstenir de payer la dîme: "La
dîme est très mal payée et le supplément encore plus mal69."
En 1860, M. Joseph-Octave Béland se plaint
encore que le paiement de la dîme est très mal observé: "II y a comme 80 fines canailles qui ne m'en ont jamais payé, et parmi ceux qui paient, un grand nombre la paye très
mal, c.a.d. retiennent quelque chose, donnent mauvaise mesure et de mauvais
grains70. " Son successeur, M. Joseph-Stanislas Martel,
connaîtra les mêmes problèmes. Ce dernier ira jusqu'à traiter ses paroissiens
de "voleurs de Dîme71." 64. A.A.Q., L., I0F, 24 décembre
1854, Béland à Cazeau. 65. A.A.Q., P., 52, Réponses aux questions sur l'état des paroisses, pour
1855 par Trudelle; A.A.Q., P., 53, Réponses aux questions pour 1856 par
Trudelle. 66. A.E.N., S.-N., 43, juillet
1849, Duguay à Cazeau. 67. A.E.T.R., Suzor, 8, 22 janvier
1857, Suzor à Cooke. 68. A.A.Q., L., l la, 26 août 1855,
Béland à Baillargeon. 69. A.A.Q., L., 21a, 22 septembre
1856, Béland à Baillargeon. 70. A.A.Q., L., 25, 28 novembre
1860, Béland à Baillargeon. 71. A.A.Q. L., 66a, février
1868, Martel à Baillargeon. A St-Médard de Warwick, St-Louis de Blandford...,
les paroissiens ne paient pas non plus fidèlement leur dîme. (P.19) Le revenu de la dîme rapporte donc bien peu
aux missionnaires des Bois-Francs. Ceci est attribuable soit au montant fixé
pour la dîme qui peut être trop bas, soit aux calamités naturelles qui
influencent les récoltes et conséquemment la dîme versée, soit aux
paroissiens qui se montrent, avec ou sans raison, fort réticents à payer leur
dîme. Quoiqu'il en soit, les missionnaires ont toutes les misères du monde à
vivre convenablement. Supplément Quelques paroisses ajoutent ce
qu'il est convenu d'appeler un supplément afin de permettre à leur prêtre de
vivre plus décemment étant donné que les seuls revenus de la dîme sont nettement
insuffisants pour leur assurer une subsistance honnête. À St-Louis de Blandford par
exemple, les habitants promettent en sus de la dîme, un supplément en foin,
patates et bois; mais comme pour la dîme, plusieurs négligent de remplir
cette promesse72. A Ste-Julie de Somerset, "tous les
habitants, sauf quelques exceptions rares, sont bien consentants à le payer
outre la dîme de patates ils promettent de donner 52 cordes de bois, 406 bottes de foins, et L 25..14..0 en argent73." De
même que la dîme, ce supplément est payé assez mal74. Lors de sa
visite pastorale en juin 1857, Mgr Baillargeon ordonne: Que, durant l'espace de deux ans, à
compter du premier octobre de la présente année, tous les chefs de famille,
domiciliés dans votre paroisse, seront tenus de donner, chacun une journée de
travail, par année, au dit curé, à sa demande, pour l'aider, comme il est dit
ci-dessus, dans le défrichement et la culture de la dite terre; ou à lui
payer un écu en argent pour cette journée de travail; et ce bien entendu, en
sus de sa dîme qu'ils lui paieront fidèlement75. Malheureusement
pour le curé, cette journée de corvée n'est pas assez bien payée76. Ainsi donc, devant l'impossibilité
de retirer davantage de revenus, ce qui très souvent leur aurait permis de
vivre plus aisément, les missionnaires feront appel à l'Association de la
Propagation de la Foi. 72. A.E.T.R., Carufel, 11, 13
juillet 1867, de Carufel à Cooke. 73. A.A.Q., L., Sa, 30 août 1854,
Trudelle à Turgeon. 74.
A.A.Q., L., l la, 26 août 1855, Béland à Baillargeon; A.A.Q., L., 21a, 22
septembre 1856, Béland à Baillargeon. 75. A.A.Q., L., 14, 17 juin 1857,
Visite pastorale de Baillargeon. 76. A.A.Q., L., 21, 30 août 1858,
Béland à Baillargeon. |
(P.20) L'intervention économique de la Propagation
de la Foi Les missionnaires ne s'adressent
pas directement à cet organisme mais le font toujours par l'intermédiaire de
leur évêque, lequel intercède pour eux. Les prêtres des Bois-Francs ne
demandent pas d'aide uniquement pour eux mais très souvent, ils en réclament
dans l'intérêt de toute la paroisse. Plusieurs missionnaires et plusieurs
paroisses, surtout au début de la colonisation, sollicitent et bénéficient
du secours de cette Association qui a pour but: Par ses prières et ses aumônes, de répandre
les lumières de l'évangile parmi les nations sauvages qui habitent le Canada.
Elle n'oublie pas non plus, dans l'exercice de sa charité, ceux de nos frères
catholiques qui sont dispersés dans les nouveaux établissements du pays, et
qui se trouvent exposés à oublier ou à perdre leur religion, par l'éloignement
où ils sont de prêtres leur en
rappellent les principes ainsi que les
devoirs77. Les sommes allouées par le conseil
de l'Association de la Propagation de la Foi pour les missions qui sont
l'objet de sa sollicitude, sont employées à procurer de quoi vivre aux
missionnaires: "Ayant appris de Mr. Dufour que je pourrais m'adresser
avec confiance pour avoir de l'argent, je vous prie de demander pour moi, je
suis plus dans le besoin que je n'ai pas encore été, la récole du blé a
totalement manqué au lieu d'augmenter je suis toujours de plus pauvre en plus
pauvre78." L'argent de cette oeuvre est aussi
utilisé pour fournir aux prêtres missionnaires le vêtement: "Pour le
moment actuel je n'ai pas un sou à moi; j'aurais besoin de quelques piastres
pour me vêtir, je n'ai rien pour cet hiver, si votre Grandeur voulait encore
me donner un coup de main79", et le logement: "Le Comité
de régie de la Société de la Propagation de la Foi rendrait un grand service
au missionnaire de Ste-Sophie, en lui allouant une somme suffisante pour se
faire faire une chambre dans le haut de ce presbytère, et pouvoir se procurer
un poêle, un lit, une chaise et une table80. " C'est
encore la Propagation de la Foi qui intervient pour aider à subvenir aux
dépenses que nécessitent les voyages et que les missionnaires des Bois-Francs
doivent faire, pour remplir les 77. Association de la Propagation de la Foi, Rapports sur les Missions du Diocèse de Québec, qui sont secourues par l'Association de la Propagation
de la Foi, Québec, janvier 1839, no 1, p. III. 78.
A.E.N., S.-N., 1, 10 novembre 1846, Gagnon à Cazeau. 79.
A.A.Q., L., 21, 30 août 1858, Béland à Baillargeon. 80. A.E.N., S.-N., 73, 3 novembre
1852, de Villers à Turgeon. (P.21) obligations
de leur ministère: "Votre Grandeur comprendra que j'ai besoin cette
année de l'assistance de la Propagation de la foi, quand vous apprendrez que
la récolte n'est pas meilleure cette année que l'année dernière, qu'il me
faut passer la moitié du temps en mission et payer une pension pour moi et
pour mon cheval, payer à chaque lieue des traverses de rivières81." Les sommes accordées par l'oeuvre
sont également versées pour la construction et l'entretien des chapelles:
"J'arrive de ma mission de Warwick j'ai trouvé tous mes habitants très
zélés pour construire leur chapelle et leur zèle a augmenté de beaucoup
lorsque je leur annoncai que le conseil de la propagation de la foi (sic)
leur a alloué L 25 82", de même que pour les munir
d'ornements, de vases sacrés et d'autres objets nécessaires au culte:
"Cette mission Warwick n'a presque rien pour les saints offices.
Quelques dons généreux lui siéraient fort bien83." L'établissement d'écoles, la
fourniture de manuels scolaires, la diffusion de cathéchismes... ne sont pas
non plus épargnés84. Pour leur subsistance, les missionnaires
reçoivent en plus de la dîme, si minime soit-elle, un léger supplément, tout
dépendant du poste que l'on dessert, et parfois du secours de la Propagation
de la Foi. III Les
dépenses courantes Disons
que l'habitation du missionnaire peut lui occasionner de sérieuses dépenses
selon qu'elle est en bon ou mauvais état85. La construction de
dépendances lui coûte des sous86. L'entretien du cheval qui lui
est nécessaire pour ses voyages l'oblige à débourser87. Il doit
acheter son ménage88. Les soins domestiques se paient également:
"À part de mes engagés qui me coûtent 81. A.E.N., S.-N., 18, 20 octobre 1847, Gagnon à Signay. 82. A.E.N., S.-N., 43, juillet
1849, Duguay à Signay. 83. A.E.N., S.-N., 26, 31 octobre
1848, Duguay à Cazeau. 84.
Association de la Propagation de la Foi, Rapports sur les Missions..., janvier
1839, no 1, pp. III-IV. 85. A.E.N., S.-N., 26, 31 octobre
1848, Duguay à Cazeau; A.E.N., S.-N., 29, 25 février 1849, Racine à Cazeau. 86.
A.E.T.R., Pelletier, lA, 23 avril 1853, Pelletier à Cooke. 87.
A.E.N., S.-N., 18, 20 octobre 1847, Gagnon à Signay. 88. A.E.T.R., Pelletier, 1, 30
octobre 1852, Pelletier à Turgeon. |
(P.22) seize louis par année, sans
leur pension89." Le missionnaire qui a à sa charge ses
parents, doit en assumer lui-même les frais90. Si un curé a un
vicaire pour l'aider dans son ministère, c'est lui qui défraie sa pension et
ses honotaires9l. Le missionnaire paie ses vêtements, sa
nourriture: "Un quart de farine rendu ici me coute L 2 à L 2, 2, 6.
Voyez si je puis y vivre92." Jusqu'aux soins médicaux
"qui ne se paient qu'à prix d'argent93." Que
savons-nous des dépenses que lui apportent ses nombreuses missions? En
mission, le missionnaire paie une pension pour lui et son cheval, plus les
frais de péage pour les traverses des rivières94. Mais ce n'est
pas tout: Je
prendrai la liberté de remarquer que les Fidèles de Blanford dont les plus
rapprochés sont à trois lieues de ma résidence déposent leurs dîmes dans la
maison où je prends pension et que le missionnaire fait transporter le tout à
ses frais. Même remarque que dessus au sujet des fidèles de Bulstrode qui se
trouvent à six lieues de ma résidence, le transport du grain est aux frais du
missionnaire. Pour aller à cette mission et pour en revenir, il y a quatre
lieues à faire à travers le bois debout en partie savane; j'ai besoin d'un
guide, c'est le missionnaire qui le paie95." Avec de si petits
revenus et de si grandes dépenses96, il n'est pas étrange
d'entendre dire de la part des missionnaires: "Je 89. A.E.T.R., Pelletier, lA, 23 avril 1853, Pelletier à Cooke. 90. A.E.T.R., Pelletier, lA, 23 avril 1853, Pelletier à Cooke. 91. A.E.T.R., Pelletier,
S, 23 septembre
1861, Pelletier
à Cooke. 92. A.A.Q., P., 34,
20 septembre 1848, Dufour à Cazeau. 93. A.E.T.R., Lacoursière,
11, 23 septembre
1864, Lacoursière
à Baillargeon. 94. A.E.N., S.-N.,
18, 20 octobre 1847, Gagnon à Signay. 95. A.E.N., S.-N., 44, 20 juillet 1849, Racine à Cazeau. 96. Au mois d'août 1849, M. Duguay fait connaître les
revenus ecclésiastiques de ses missions: "J'ai reçu en grains pour
environ L 30, j'ai
fait 12
mariages , j'ai chanté 3 services
et j'ai chanté trois grands messes pour les âmes; sut ces revenus il me faut
payer trois shelings de pension par jour pour moi et mon cheval. Cette année
avec les L 40 que
j'ai eus de la société de la progation (sic) de la foi (sic) je n'ai pu égaliser
mes dépenses par mes revenus", A.E.N., S.-N., 49, 16 août 1849, Duguay à Signay. Narcisse Pelletier écrit en 1853: "A part de
mes engagés qui me coutent seize louis par année, sans leur pension, et mes
parents dont je suis le seul chargé, il me faut absolument bâtir ce hangar
qui me servira aussi de fourni, dont le coût ne sera pas moins de huit a dix
Louis ...
Quoique un peu meilleurs
que l'année dernière, les revenus de la dîme cette année ne sont pas
suffisants pour rencontrer les dépenses", A.E.T.R., Pelletier,
lA, 23 août 1853, Pelletier à Cooke. (P.23) suis
pauvre97"; et encore: "Je n'ai pas un sous98."
Laissons maintenant parler M. Pelletier qui nous fait une synthèse sur les
premiers missionnaires: "Quand tous les curés des Townships sont montés
ici, ils n'avaient pas tous le coeur joyeux, ils n'ont pas été libres de
choisir leur poste, je parle des premiers qui y sont venus, ils ont reçu
mincement pendant assez longtemps, même avec le secours de la propagation de
la Foie (sic)99." Après avoir donné un long aperçu de
l'environnement matériel des missionnaires et avoir examiné leurs moyens de
subsistance, la description de leurs conditions de vie quotidienne ne
saurait être complète si nous ne considérions quelques difficultés physiques
inhérentes à leur vie de missionnaire. IV Les
difficultés du ministère Nombre de missions à desservir Clovis Gagnon, le premier
missionnaire résidant des Bois-Francs, n'a pas moins de dix missions à
desservir: Warwick, St-Christophe, St-Norbert, Bulstrode, Chester,
Ste-Sophie, Stanfold, Blandford, Somerset et Ste-Julie100. Avec
l'arrivée des autres missionnaires, les Dufour, Racine, Duguay, Suzor...,
même si le territoire reste identique, le nombre de missions dont prend soin
un missionnaire, diminue. Le travail missionnaire, par contre, demeure aussi
épuisant, aussi fatigant, puisque coïncide avec la réduction du nombre de
missions, l'augmentation de la population. En 1839, les Bois-Francs comptent
1 189 personnes101. Moïse Duguay, en plus de StNorbert, a trois
autres missions: St-Christophe, Warwick, Bulstrode 102. Ses
missions de St-Norbert, St-Christophe et Warwick renferment plus de 2 000
âmes103. 97. A.A.Q., L., 21, 30 août 1858, Béland à Baillargeon. 98. A.E.T.R., Lacoursière, 5, 5 juin 1859, Lacoursière à Baillargeon. 99. A.E.T.R., Pelletier, 13, 18 septembre 1862, Pelletier à Cooke. 100. A.P., St-Calixte de Somerset,
Trudelle, op. cit., p. 23. 101. Mailhot, op. rit., t. II, p. 73. 102. A.E.N., S.-N., 26, 31 octobre 1848, Duguay à Cazeau. 103. A.E.N., S.-N.,
27, 19
janvier 1849, Duguay à Signay. M. Racine dessert trois missions: St-Eusèbe de Stanfold,
St-Louis de Blandford, St-Jules de Bulstrode, A.E.N., S.-N., 44, 20 juillet 1849, Racine à Cazeau. A M. Suzor, en octobre 1851, est confié le soin de la cure et
paroisse de St-Christophe d'Arthabaska ainsi que des missions de St-Médard
de Warwick et St-Jules de Bulstrode, puis des familles établies sur le plus
petit bras de la rivière Nicolet, A.E.N., S.-C., 26, 20 octobre 1854, Suzor à Turgeon. À elle seule,
St-Christophe compte 895 âmes au mois d'août 1851, A.E.N., S.-C., 14, 14 août 1851, Procès-verbal de Racine. |
(P.24) Multiplicité des célébrations Concernant le nombre d'offices
célébrés, le nombre de jours que dure chaque mission, la quantité de missions
qui est faite.... les sources qui traitent de ces questions sont peu nombreuses.
Nous nous permettrons cependant de donner quelques indices à l'aide des
matériaux trouvés. Mentionnons que lorsqu'une paroisse
a l'avantage de posséder un curé résidant, ce dernier est d'abord et avant
tout à la disposition de sa paroisse. Ce qui ne signifie pas qu'il néglige
complètement d'aller en mission. Mais sa présence en paroisse de mission est
beaucoup moins fréquente et varie d'une paroisse à l'autre, selon le missionnaire
desservant. Le curé de
St-Eusèbe, M. Pelletier, se rend à St-Louis une fois le mois et deux jours
par mission104. Prêtre résidant à St-Norbert, M. Gagnon a
la charge des missions de St-Christophe, Warwick et Bulstrode: "je ne me
suis point engagé à aller les visiter un nombre de fois fixe, mais j'y vais
six ou sept fois par année, séjournant dans chaque mission huit et douze
jours par fois105." M. Charles Trudelle de St-Calixte rend
visite à ses fidèles de Ste-Julie à toutes les quatre semaines, car il ne
veut pas priver davantage la population de St-Calixte de l'office divin106 . Nous touchons ici un point très
important. En effet, les curés missionnaires répugnent parfois à abandonner
leurs paroissiens, car ceux-ci n'acceptent pas de se voir privés des offices.
Et d'autant plus, ajoute Narcisse
Pelletier: "Avec un village aussi considérable que le nôtre vous
comprenez facilement qu'il y a beaucoup d'inconvénients à laisser tout le
monde sans office. Aussi, il est rare que je laisse la paroisse pour la
mission sans qu'il arrive quelque désordre107." Les temps de mission exigent
énormément de la part des missionnaires. On parle de désordre possible dans la paroisse en
leur absence et auquel ils doivent remédier à leur retour. Mais qu'en est-il
de la distance qu'il leur faut parcourir pour se rendre et revenir de leurs
missions? Distance
à parcourir Même
si la distance à franchir pour les missionnaires varie d'une mission à
l'autre, il demeure qu'elle est toujours très importante. Certains missionnaires
rapportent qu'ils ont parfois à 104. A.E.N., S.-E., 10, ler mars 1861, Pelletier à Cooke. 105. A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847,
Gagnon à Signay. 106. A.A.Q., 61CD, Ste-Sophie 1,
18, 28 octobre 1850, Trudelle à Turgeon. 107. A.E.N., S.-L., 14, 25 juillet
1862, Pelletier à Laflèche. (P.25) parcourir
trois lieues108, six lieues et demie 109, huit lieues110,
et même dix lieues et trois quart111,
... pour se transporter d'un endroit de mission à un autre. M. Gagnon écrit:
"Vendredi dernier, j'ai été appelé pour un malade à neuf lieues, ce n'a été
qu'après neuf heures de marche sans aucune hâte que j'ai pu parvenir à
mon malade après avoir marché toute la nuit dans ces abominables chemins;
c'était la deuxième nuit que je marchais de la sorte, j'étais épuisé de
lassitude112. » Ce dernier extrait nous incite à nous interroger sur le
mode de locomotion des missionnaires et sur l'état général des chemins. Moyens de transport Il va sans dire qu'à l'époque
étudiée, les modes de transport sont limités. Les missionnaires se rendent à
leurs missions à cheval ou à pied. La période de l'année semble jouer un rôle
important sur ces moyens de déplacement de même que le lieu de mission. Pour
se rendre à ses missions de St-Christophe et de Warwick, le prêtre de St-Norbert
utilise le cheval durant la sécheresse de l'été et se déplace à pied durant
les autres saison113. Par contre, M. Dufour de Somerset dira il.
ne
peut se rendre à Bulstrode l'été autrement qu'à pied114
. À pied ou à cheval, le trajet demeure tout de même très pénible
lorsque nous pensons à la distance et à la mauvaise qualité des chemins. État
des chemins Les
témoignages dénonçant le très mauvais état des chemins sont extrêmement
nombreux. Tous les missionnaires ont à se plaindre des énormes difficultés
que créent ces routes impraticables. Antoine Racine, chargé de la mission de
Bulstrode, dit qu'il lui "faudrait un calice (celui de St-Eusèbe est trop faible pour faire
le voyage) et un ornement complet pour dire la messe; car le transport
des ornements dans une place aussi éloignée et par des chemins si difficiles
les brise bien vite115." À Arthabaska, au dire de M. Duguay, "le chemin
pour se rendre à la chapelle actuelle est dans un tel état que je suis obligé
de faire 108. A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847, Gagnon à Signay. 109.
A.E.N., S.-N., 28, 25 février 1849, Racine à Signay. 110. A.E.N., S.-N., 24, 3 octobre
1848, Duguay à Signay. 111. A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847,
Gagnon à Signay.. 112. A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847,
Gagnon à Signay. 113. A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847,
Gagnon à Signay. 114. A.E.N., S.-N., 22, 12
septembre 1848, Dufour à Cazeau. 115.
A.E.N., S.-E., 1D, 19 octobre 1848, Racine à Cazeau. |
P.26 une lieue à pieds et avec la plus
grande peine 116, ». M. Gagnon ne dresse pas, lui non plus, un très beau
bilan de ces chemins de mission puisqu'ils sont "tracés à travers les
haies dans des savannes impraticables117 . » Que de fois dans les lettres des
missionnaires avons-nous lu qu'il désirent faire
commencer les Pâques plus tôt, car plus tard, les fidèles connaîtront de
grandes difficultés à remplir leurs devoirs religieux vu le mauvais état des
chemins118. La mort de Bélanger n'est-elle pas
attribuable à la mauvaise condition des chemins119? Monsieur Charles-Edouard Bélanger a trouvé la mort
aux Bois-Francs, mais combien d'autres missionnaires y ont laissé leur santé
à cause des durs travaux qu'exige le ministère paroissial. Maladie M. Trudelle se plaint que "les
course à pied et dans l'eau qu'il me faut faire assez souvent pour aller dans
l'été au Sault Rouge à la Rivière Bécancour, à Halifax (dont je suis chargé
de fait pour trois rangs) m'ont donné quelquefois des douleurs qui m'on fait
penser à ce que la mode veut que l'on appelle rhumatisme120." M. Lacoursière est enclin à la
maladie. Après la grosse picotte121, les maux d'oreilles122,...
voilà qu'il souffre d'une affectation des bronches très avancée: "J'ai contracter cette maladie dans un voyage que j'ai fait à
St. Albert, pour administrer un malade, où le me suis mouiller, et d'où il
m'a fallu revenir à pied123." Le coup de vent
épouvantable du 10 août 1864 qui a détruit une partie de la paroisse de
Warwick, conduit M. Lacoursière à contracter une dépression générale et à
demander d'être relevé de sa cure124. M. Suzor est
parfaitement 116. A.E.N., S.-N., 41, 22 mai 1849, Duguay à
Cazeau. 117. A.E.N., S.-C., 4, 10 mai 1847, Gagnon à
Signay. Les Prince, Pelletier,... dénoncent aussi l'état déplorable des voies
de communication, A.E.T.R., Prince, 5, 18 mars 1856, Prince à Baillargeon;
A.E.T.R., Pelletier, 17, 28 août
1858, Pelletier à Cooke; A.E.T.R., Suzor, .5, 22 août 1856, Suzor à Cooke. 118. A.E.N., S.-N., 74, 10 décembre
1852, de Villers à Turgeon; A.E.T.R., Pelletier, 10, 20 avril 1857, Pelletier
à Cooke. 119. A.A.Q., P., 32, janvier 1846, Dufour à
Signay. 120. A.A.Q., L., 3a, 3 avril 1854, Trudelle à
Cazeau. 121. A.E.T.R., Lacoursière, 3, 14 mats 1859,
Lacoursière à Cooke. 122. A.E.T.R., Lacoursière, 4, 27 avril 1859,
Lacoursière à Cooke. 123. A.E.T.R., Lacoursière, 9, 18 février 1864,
Lacoursière à Cooke. 124. A.E.T.R., Lacoursière, 10, 11 août 1864,
Lacoursière à Cooke; A.E.T.R., Lacoursière, 11, 23 septembre 1864,
Lacoursière à Cooke. (P.27) conscient
de l'effort énorme qu'exige la vie de missionnaire: "Je ne pense pas
pouvoir suffire aux voyages que nécessitent ma paroisse et mes missions, car
ma santé me dit, tous les jours, que j'ai été, longtemps assujetti à des
travaux au-dessus de mes forces125." Après neuf ans de vie en
mission, la santé de M. Suzor est tellement altérée qu'il ne peut plus
supporter l'abstinence et le jeûne durant le carême126 . En 1865, il écrit: "J'ai le chagrin
d'apprendre à Votre Grandeur que ma santé est tellement délabrée, au dire des
médecins et particulièrement du docteur Bourgeois, qu'il me faut, pour obvier
à de très graves inconvéniens plus tard, aller passer quelques semaines à
l'eau salée... 127.'' Finalement, Hippolyte Suzor conclut:
"Vous avez exigé de moi des choses qui étaient au dessus de mes forces
et qui ont compromis ma santé128." En proie aux souffrances et aux
privations de toutes espèces, souffrant du côté du logement, de la
nourriture, du vêtement, du trop grand nombre de missions à desservir..., les
missionnaires désirent-ils quitter leur paroisse des Bois-Francs pour autant? Attachement
à leur paroisse? D'après notre étude, plusieurs
possibilités existent. Certains missionnaires sont indifférents à exercer
leur ministère paroissial aux Bois-Francs: "Partir ou rester est la même
chose pour moi129." D'autres placent l'esprit
d'obéissance et le salut des âmes au-dessus de tout. M. Paul de Villers est très explicite:
"J'aurais abandonné avec plaisir Arthabaska, où je suis venu, et où je
demeure, que par obéissance aux ordres de l'évêque130." Quant
à Moïse Duguay, l'important est le salut des âmes: "Je suis prêt à
partir je sais qu'il me faut sacrifier ce que j'ai, mais quand il s'agit du
salut des âmes il n'y a pas à balancer131. " Dans une autre
lettre, dans laquelle il donne sa démission, M. Duguay précise que ce n'est
pas par dégoût qu'il le fait, mais bien parce qu'un autre missionnaire pourra
faire plus de bien que lui132. 125. A.E.T.R., Suzor, 8, 22 janvier
1857, Suzor à Cooke. 126.
A.E.T.R., Suzor, 1, 20 mars 1860, Suzor à Cooke. 127.
A.E.T.R., Suzor, 15, 9 juin 1865, Suzor à Cooke. 128. A.E.T.R., Suzor, 17, 26 novembre 1868, Suzor
à Laflèche. 129. A.E.N., S.-N, 15, 15 août 1847, Gagnon à
Signay. 130. A.E.N., S.-N., 69, 24 janvier
1852, de Villers à Cazeau. 131. A.E.N., S.-N., 57, 5 novembre
1849, Duguay à Signay. 132. A.E.N., S.-C., 7B, 5 novembre
1849, Duguay à Cazeau. |
(P.28) Quelques autres, par contre, demandent à
quitter leur paroisse. À Ste-Julie, M. Béland ne tient pas tellement à cette
cure: Je vous déclarerai franchement que
j'ai souffert ici, depuis sept ans, de toutes manières, j'ai travaillé corps
et âme pour établir convenablement la place, j'ai enduré toutes les misère possibles, mais jamais dans l'intention d'y
rester longtemps. Je puis assurer que ce n'est point contre la volonté de
Dieu de supplier votre Grandeur de me mettre l'année prochaine dans un petit
coin, ou il n'y aura pas de dettes, pour vivre tranquille et me livrer
complètement à l'étude le reste de mes jours qui ne seront pas bien longs133. M. de Carufel ne semble pas tellement se plaire à
Blandford si l'on en juge par les propos qu'il tient à son évêque en 1867:
"Ce n'est pas, Mgr, l'envie que j'ai de tester Curé de Blandford Je ne peux pas beaucoup envié de
rester Curé de St-Louis ... Pour ma part, je supplie Votre Grandeur de faire
son possible pour obtenir de celui dont vous êtes le Coadjuteur une autre
cure134." Enfin, plusieurs missionnaires vont
quitter avec chagrin leur paroisse des Bois-Francs. Obligé de quitter la cure
de St-Médard pour raison de santé, M. Lacoursière en est peiné: "Il m'en
coûte tellement Mgr de me séparer de mes pauvres paroissiens que j'ose
demander à V. G. une condition ou une faveur: c'est que, si l'année prochaine
j'étais assez bien pour retourner en cure, j'aimerais revenir à Warwick135."
M. Pelletier
est un autre exemple d'un missionnaire qui préfère demeurer dans sa paroisse
des Bois-Francs. Étant nommé à une autre cure, il demande à son évêque de
révoquer sa nomination afin de pouvoir rester à Stanfold, car dit-il,
"c'est un pénible sacrifice pour moi de laisser Stanfold après un séjour
de 14 ans136." Ainsi, après étude de la vie quotidienne des
missionnaires, nous pouvons dégager les traits suivants. En attendant la construction du presbytère, les
missionnaires logent dans la maison d'un paroissien, ou dans la sacristie, ou
dans la chapelle; habituellement, le logement mis à leur disposition est peu
confortable. Les dépendances à savoir l'étable, la remise, le hangar, sont
souvent construites seulement après l'ar- 133. A.A.Q., L., 25b, 6 septembre 1861, Béland à
Baillargeon. 134. A.E.T.R., Carufel, 11, 13 juillet 1867, de
Carufel à Cooke. 135. A.E.T.R., Lacoursière, 11, 23 septembre 1864,
Lacoursière à Cooke. 136. A.E.N., S.-E., 16, 26 septembre 1866,
Pelletier à Cooke. rivée du résident. Les missionnaires qui viennent
oeuvrer aux Bois-Francs achètent le mobilier de leur prédécesseur et le revendent
lorsqu'ils quittent. Rares sont ceux qui arrivent avec leur ménage. Les
missionnaires demeurent rarement seuls dans leur maison: ils ont des
domestiques et parfois des membres de leur famille vivent avec eux. Leur
nourriture ressemble à celle des colons et se compose d'aliments à base de
blé, sarrazin, etc. Viandes, fruits et légumes font aussi partie du menu.
Quant à leur habillement, ils manquent de vêtements convenables. Les revenus des prêtres
missionnaires proviennent de la dîme et du supplément. Malheureusement, ces
deux sources de revenus sont payées très peu fidèlement. En conséquence, le
secours de l'Association de la Propagation de la Foi est toujours le bienvenu
pour les aider à se nourrir, se vêtir, se loger... En somme, à cause des
nombreuses dépenses occasionnées par la réparation ou la construction de
bâtisses indispensables, par le salaire à verser aux employés, par l'achat de
nourriture et autres, les missionnaires vivent dans la pauvreté. À la pauvreté matérielle,
s'ajoutent les souffrances physiques: plusieurs missions à desservir et
toutes passablement éloignées les unes des autres. Le trajet se fait par des
chemins impraticables, très souvent à pied, parfois à cheval, tout dépendant
de la saison et du lieu de mission à desservir. Sous la pluie, la neige ou le
soleil, sur la terre ferme ou dans l'eau, l'estomac rempli ou pas..., . rien
ne semble pouvoir arrêter les missionnaires. À mener une telle vie de
misère, rien d'étonnant que certains d'entre eux ont contracté de graves
maladies. On peut donc penser que les
missionnaires des Bois-Francs désirent ardemment quitter cette région si peu
attrayante, mais tel n'est pas le cas, pour la majorité d'entre eux. ANDRÉ
LAGANIÈRE (auteur) |